Testament d'Esprit Calvet - 5

Prohibition de nommer le testateur dans certains écrits

En toute supposition, je défends de me nommer dans des inscriptions, affiches, journaux, gazettes, imprimés ou annonces quelconques avec indication de ces dons, déclarant que je n'aurais souhaité de conserver mon ancienne fortune que pour donner plus d'étendue au peu de bienfaits mentionnés dans le présent testament ; du moins aurais-je pu alors m'épargner le regret de n'y pas faire mention de quelques amis estimables, soit de cette ville, soit étrangers.
Sur quoi je prie d'observer que, les événements successifs arrivés depuis seize ou dix-sept ans m'ayant privé de tous mes biens de famille, à ma maison près, et forcé d'en venir à des fonds perdus, je ne fais dans ces dernières volontés que rendre au public ce qu'il m'a donné durant le long exercice de ma profession, et par conséquent ces apparences de gratitude doivent plutôt être envisagées sous le rapport d'une dette acquittée envers ma patrie, à raison de la confiance dont elle a daigné m'honorer comme médecin pendant quarante ans ; d'où je puis, ce semble, me promettre que ces présentes dispositions seront autorisées et maintenues sans réforme.

Nomination de ses exécuteurs testamentaires

Je nomme pour mes exécuteurs testamentaires M. Bertrand, maire actuel, même s'il cesse de l'être ; M. Tempier, conseiller de la préfecture, et M. de Boutet l'aîné, espérant que ces vertueux citoyens voudront bien se prêter d'un commun accord à prévenir ou aplanir les obstacles qui pourraient gêner l'exécution de ces fermes et dernières volontés.
En reconnaissance des bons offices de mes exécuteurs testamentaires, je les prie d'accepter, chacun, une ou plusieurs pièces de ma vaisselle d'argent, à son choix, valant en poids quatre cents livres en numéraire, ce qui fera douze cents livres pour tous les trois, divisées à chacun d'eux une fois seulement, cette seule première année, lorsque la bibliothèque sera ouverte et leur gestion commencée. Je n'ignore pas que ce présent est bien léger, mais je me persuade que ces généreux citoyens rendront volontiers ce service signalé à leur patrie, avec un désintéressement digne d'eux. Ma bibliothèque ne pourra pas fournir d'honoraires à leurs successeurs.
Si les grandes affaires de M. Bertrand, maire, ne lui laissent pas le temps de remplir ce nouvel objet, M. Guérin le père, officier de santé, est prié de prendre sa place.

Attribution de pouvoirs à MM. les exécuteurs testamentaires

Mes exécuteurs testamentaires, ainsi que leurs successeurs, qu'ils nommeront en détail, me représenteront ; ils auront le droit de percevoir le revenu de tous les biens légués à ma bibliothèque. La haute direction des livres et des cabinets leur sera adjugée ; ils présideront au choix et à l'achat des ouvrages ; ils pourvoiront au paiement des pensions léguées, et disposeront des revenus pour remplir mes engagements sous les conditions établies. Je les prie aussi de renouveler avec le conseil et l'agrément des huit, ou de quelques-uns d'entre eux, les baux à ferme à leurs époques respectives, et de payer les droits et impôts, ainsi que de placer les sommes superflues sur des fonds de terre au profit de ma bibliothèque. En cas de mort ou de refus de l'un d'eux, les deux autres se choisiront incessamment un nouveau collègue de la ville qui soit homme de lettres, non commerçant ni au nombre des gens d'affaires par état, sans recourir sur ces détails au Gouvernement, déjà trop occupé d'affaires bien plus importantes ; c'est une réserve attentive et respectueuse que nous devons à ses chefs.
[...]
On voit que les présentes dispositions sont, outre les legs, uniquement dirigées vers ma bibliothèque et l'oeuvre de Bienfaisance ; je crois même avoir pris des mesures suffisantes pour assurer et consolider cette application de mes biens ; j'autorise donc, confirme et ratifie en dernière analyse cette double volonté pour tous les temps, contre les prétentions de qui que ce soit, même et surtout de ceux qui procèderaient en qualité de parents, soit paternels, soit maternels, à quelque degré ou titre que ce soit.
Un testament ci-devant envoyé à la bibliothèque publique de Marseille, cousu dans de la toile, est déclaré nul, ainsi qu'un précédent, du 9 décembre 1788, remis à double à Chambeau le père et à Collet le père, notaires, le 6 mars 1789.
Dans l'incident possible de l'abandon absolu de ma bibliothèque, les livres et manuscrits, les statues de toute grandeur, les bustes, médailles, monuments antiques et modernes, pierres inscrites et gravées, bagues, tableaux choisis, ainsi que la collection d'histoire naturelle avec ses familles de coquilles, tabatières d'or, tous les objets, après l'inventaire amiable usité, seront confiés à la ville d'Avignon, qui, sur l'avis du conseil des huit, les placera dans un local convenable éloigné de tout autre cabinet de livres et autres, et d'un accès facile ; on se conservera les terres d'Avignon et de Cavaillon, et les capitaux désignés après les terres pour enrichir les recueils, acquitter les dépenses indispensables et s'occuper d'avance de la botanique. Après les dépenses on gardera en dépôt une somme spécieuse du revenu superflu pour les acquisitions à faire, en favorisant toujours les gens de lettres peu à leur aise, les études et les pauvres ; et sans altérer, suspendre ni gêner le paiement des legs et des pensions, surtout et en toute hypothèse sans accorder aucune pension même légère à une autre oeuvre pie que la Bienfaisance, dans le sens du présent testament.
J'avertis qu'ayant eu les plus fortes raisons de garder le secret sur le contenu de ce testament, je ne me suis pas permis de consulter des gens d'affaires ni qui que ce soit pour la manière de le dresser ; et, conséquemment à cette omission très réfléchie, il est possible que j'aie manqué à quelque formalité d'usage. Je prétends suppléer à ce défaut de tout mon pouvoir, entendant et voulant qu'on s'en rapporte uniquement aux expressions simples des volontés ci-dessus, sans avoir égard à la forme.
Des extrait du présent testament seront fournis, en forme probante, à toutes les compagnies, maisons de charité, administrations et même à tous les musées, bureaux, ainsi qu'aux particuliers qui y ont intérêt, à leurs dépens toutefois, à moins que, pour épargner des frais, on ne préfère des moyens plus expéditifs et plus simples ; ces extraits signés et approuvés juridiquement seront déposés à perpétuité dans leurs archives. Ici se termine mon dernier et seul valable testament, proprement dit, du dixième janvier, mil huit cent dix ; les détails qui le suivent sur feuilles volantes y ont été ajoutés pour la commodité de mes exécuteurs testamentaires ; voulant et prétendant néanmoins que tout ce qui est nommé ci-après avec ma signature soit exécuté suivant la forme et teneur.
Fait et signé le présent testament, le dixième janvier mil huit cent dix, à Avignon, dans mon cabinet d'études ;

Signé : Esprit-Claude-François CALVET, né à Avignon, le vingt-quatre novembre 1728.

Note. Je m'étais proposé, comme je l'ai dit ci-dessus, de placer ici un état détaillé des biens qui me restent, mais quand j'ai voulu me mettre à l'ouvrage, j'ai craint que mon âge, l'état de ma vue et ma faiblesse ordinaire ne me permissent pas d'aller jusqu'au bout. Je me vois donc forcé de renoncer à ce projet ; mon livre de raison y suppléera, et plus au long mes papiers originaux d'affaires ; je demande seulement et je prie de poursuivre chaudement, aux frais des oeuvres nommées, la liquidation des capitaux nombreux et très considérables destinés à l'oeuvre de Bienfaisance, dans le sens de mon livre de raison.

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